L'OUVRAGE que l'on entreprend en 1265 prend très tôt le nom de pont Saint-Esprit à cause de la proximité d'un oratoire dédié à la troisième personne de la Sainte-Trinité sur la rive droite du Rhône. Ici le Saint-Esprit rem
Place le saint bâtisseur dans la fondation du pont. Les légendes le dépeignent sous forme de langues de feu que vit un moine en songe ou d'un habile ouvrier.
L'initiative de la construction revient à Jean de, Thianges, prieur du monastère Saint-Pierre, qui convoque les notables de la ville le 26 mars 1265 et nomme quatre ouvriers et quatre conseillers qui doivent rendre compte devant lui et la communauté. Le 16 août ces recteurs ont rassemblé les matériaux nécessaires ; une telle célérité montre qu'il y avait eu auparavant des tentatives infructueuses. Mais le prieur s'oppose alors aux travaux à cause d'une affaire de directe, puis le 12 septembre 1265 (vers le 20 de notre calendrier), pose solennellement la première pierre du pont sur la rive gauche du fleuve, « conduit par l'inspiration divine ».
Les travaux débutèrent immédiatement. En 1275 on achète un terrain pour agrandir les carrières de Bourg-Saint-Andéol, la peyrière du Roy sous Henri IV, fournissant un grès dur qui arrive à destination sur des radeaux. Les ouvriers sont nombreux et en 1281 on fixe par écrit un ensemble de règles pour assurer la discipline.
Ces ouvriers ne font pas partie d'une confrérie se déplaçant au gré des chantiers ; le pont n'est pas l'oeuvre des frères pontifes comme on l'admettait au siècle dernier. Il n'existe pas à Pont-Saint-Esprit de communauté d'hospitaliers bâtisseurs de ponts avant 1265 ; l'initiative de la construction est locale; le pont est élevé par des ouvriers laïcs soumis pour la durée des travaux à une règle commune et religieuse, mais qui n'exige pas les voeux solennels de religion.
Un mémorialiste signale une interruption de trente ans pendant les travaux mais cela paraît peu probable. La construction menée à partir de l'Est devait être assez avancée vers 1295 car on entreprend alors de la fortifier par des tours. Le pape Boniface VIII oblige les recteurs à détruire le système défensif. L'importance de l'entreprise n'échappe pas aux pouvoirs politiques et est à l'origine du partage de la seigneurie entre le prieur et le roi de France.
En 1307 une seule
Arche reste à édifier; le pont est ouvert à la circulation en 1309. Les chariots n'y circulent qu'à vide; un bac transporte les m
Archandises. Mais il y eut des abus. En 1609 le bureau de l'Oeuvre interdit « à toute personne, de quelque qualité que ce soit de passer ou faire passer aucunes charrettes sur le pont, à peyne de confiscation des charrettes et bestail et de cent livres d'
Amende ». L'intendant d'Aguesseau en 1685 autorise la circulation des carrosses sur le pont à condition qu'ils soient montés sur des traineaux. L'usage est supprimé en 1774. Puis les charrettes peuvent emprunter le pont. Les pavés de basaltes glissants sont alors recouverts d'un empierrement.
Le pont est jeté en travers du fleuve en un endroit où le lit est très large et changeant. Des digues maintiennent les eaux dans la partie Ouest de la vallée pour éviter que le Rhône ne « délaisse son ancien cours et mecte ledit pond en isle ». Elles servent aussi de chemin de halage.
Les
Piles du côté Est sont construites sur la terre ferme, celles du côté opposé sur le rocher même. Les autres sont bâties sur pilotis. L'axe du pont est dévié vers le Sud à partir de la
Pile Saint-Nicolas et jusqu'à l'extrémité Est afin d'offrir une résistance maximale au cours principal. Ce chenal est toujours employé au XVIII siècle. Les
Piles sont protégées en amont et en aval par des
Becs triangulaires en bossage. Viollet-le-Duc pensait que c'était une mesure militaire. En réalité, ils brisent la force des eaux. D'ailleurs ils ne sont pas perpendiculaires à l'ouvrage mais dans la direction la plus importante des flots confirmée par l'angle du pont. Ces
Becs reposent sur de gros
Blocs protégeant les fondations. Au XV siècle, après chaque crue, on s'emploie à « enrocher » les
Piles avec des
Blocs tirés des carrières de l'hôpital. Dans chaque
Pile -s'ouvre un passage en plein
Cintre de hauteur inégale afin de diminuer la pression des hautes eaux. Chaque
Pile forme une
Culée ; on peut donc bâtir les
Arches les unes après les autres.
Celles-ci, au nombre de vingt, sont composées de quatre
Arceaux juxtaposés. Les
Arcs ne risquent pas de se disjoindre comme au pont Saint-Bénézet d'Avignon, car ils sont liés entre eux. A la base, les liaisons entre
Claveaux se font une pierre non l'autre ; au sommet elles sont plus espacées. La séparation est rendue impossible mais, en cas de démolition, les
Arceaux restent indépendants. Dans cette caractéristique réside sûrement le secret de la solidité du pont.
Les
Claveaux sont très forts. Leur dimension et leur disposition rappellent ceux des
Viaducs romains de la région comme le pont du Gard ou le pont de Vaison-la-Romaine.
L'accès se faisait de part et d'autre par une pente très raide.
Le pont supportait une structure défensive ajoutée en 1358. A l'Ouest, sur la deuxième
Pile (entre la première et la deuxième
Arche), se déployait un bâtiment appelé « la tour du roy » au XV siècle. Il était percé de deux portes précédées d'une herse et couvert par une toiture de forme conique dont on rem
Place les tuiles en février 1474. A côté une autre tour étroite mais plus élevée servait au logement des gardes du pont. D'après la fresque de la maison du roi, elle est couverte d'une coupole de pierre ; on l'enduit effectivement de mortier en 1474. Sur le coude du pont une tour abritait la chapelle Saint-Nicolas et en dessous une prison. A l'Est, la tour « devers l'Empire » était protégée par un pont-
Levis que l'on maintient en état au XV siècle. Néanmoins lorsqu'on veut surveiller le passage du blé de février à octobre 1474, on ferme le pont par une barrière de bois actionnée au moyen de cordes.
Durant l'époque moderne, l'aspect du pont a été modifié. Au XVI° siècle, l'
Arche orientale est détruite et remplacée par trois petites
Arches, dites de la Rampe, de la Condamine et du Pont-
Levis. Au XVIII° siècle, l'aspect militaire a moins d'importance, l'ouvrage est défendu par le fortin de Montrevel à l'Est et protégé par la citadelle du côté opposé. Après la destruction des tours, on élève des portes décoratives. Pour faciliter le croisement des véhicules, des garages sur
Encorbellement sont établis en 1759.
Ouvert à la libre circulation au XIX° siècle, le pont est réaménagé. Les portes trop étroites limitent le passage et sont la cause d'accidents fréquents. Après la démolition d'un piedroit de la porte Ouest pour laisser passer la cage d'un éléphant, les structures supérieures sont rasées. Mais le croisement des chariots reste difficile. En 1861 le pont est élargi de deux mètres cinquante, on double les
Piles et les
Becs sont refaits. Les restes de la tour Saint-Nicolas sont abattus et remplacés par une construction trapézoïdale terminée en terrasse au niveau du
Tablier du pont et au Sud par un escalier attaché à la paroi.
A la même époque le pont est mutilé. Si l'extrémité Est retrouve en 1869 sa grande
Arche, il n'en est pas de même à l'opposé où deux
Arches sont détruites en juin 1855 pour permettre un passage plus aisé sous le pont. L'immobilisation d'un bateau portant les troupes destinées à la campagne de Crimée pendant une journée en amont du pont lors d'une crue n'a pas joué en faveur du maintien. En 1856 une
Arche marinière est mise en
Place. Elle est détruite au cours du bombardement aérien du 15 août 1944. On installe en février 1945 un pont
Suspendu provisoire remplacé par l'
Arche actuelle en
Béton.
Sans l'opposition d'un ancien historien de la ville, Louis Bruguier-Roure, on aurait détruit encore deux
Arches à l'Ouest pour préserver la plaine des hautes eaux, alors que la cause du mal était dans le colmatage au-dessous du pont et la restriction du lit torrentiel au chenal navigable. Le temps et le manque d'argent ont eu raison de ce projet. Après la deuxième guerre mondiale, la mise en
Service du barrage de Donzère-Mondragon a fait oublier le débat.
Mais le Rhône perd alors son rang de « fleuve-dieu » que lui attribue Frédéric Mistral, tandis que l'accroissement de la circulation redonne de l'importance à l'antique voie de communication.