LA LONGUE HISTOIRE DU PONT
Chacun sait qu'à l'origine du vieux monument lyonnais, on trouve les Frères du Pont ou Frères Pontifes dont le but était de secourir les voyageurs, d'établir des bacs et de construire des ponts.
Tout a été dit sur l'histoire du pont de la Guillotière. M. C. Guigue dans son étude sur l'origine du pont et du Grand Hôtel-Dieu a reproduit le texte de la lettre de l'
Archevêque jean de Bellesme, en date d'environ 1180, relative à une entente avec l'abbé et les moines d'Ainay en vue des nécessités de l'oeuvre du pont du Rhône. Il est également question de la chapelle de ce pont dans les bulles des papes Lucien III (1183) , Urbain III (1187) ,
Clément III (1188).
Sur l'emplacement primitif du pont, à hauteur de la rue Sainte-Hélène, il faut relire les conclusions de l'étude publiée en 1863 par M. Gobin, ingénieur des Ponts et Chaussées.
En 1190, lors du passage des troupes de Philippe-Auguste et Richard Coeur-de-Lion, le pont de bois s'écroula et cela lui valut la protection et les subsides du roi d'Angleterre, des papes Innocent III, Innocent IV et Urbain IV, prescrivant des quêtes et accordant des indulgences.
En 1308, Pierre de Savoie,
Archevêque de Lyon, enlève aux Frères pontifes l'administration du pont du Rhône et la confie aux religieux cisterciens de l'abbaye d'Hautecombe quelques années plus tard, elle passe aux moines de l'abbaye de Chassagne-en-Bresse. Et les notables de Lyon demandent l'appui des rois de France et celui du pape jean XXII. Le pont est alors en bois avec deux
Arches de pierre et quelques
Piles.
Le 4 octobre 1334, le supérieur de Chassagne cédait aux citoyens de Lyon l'entreprise du pont. Les consuls multiplièrent les demandes de secours.
D'autres indulgences furent concédées en 1380 par
Clément VII, réfugié en Avignon, en faveur de ceux qui visiteraient la chapelle du Saint-Esprit le jour de sa consécration et les sept jours suivants.
Il y eut des confrères de la chapelle du Saint-Esprit dans toutes les villes et de nombreux villages de Lyonnais, Forez, Beaujolais, Bresse, Dombes. On en trouva en Dauphiné, Provence, Auvergne et Guyenne. A Lyon, à la fin du XIV siècle, leur nombre, d'après les
Archives municipales, s'élevait à 4.178.
On put poursuivre la construction des
Arches de pierre. En 1407, le pont avait atteint les deux tiers de son étendue projetée. Une inondation des deux fleuves qui détruisit dans la ville plusieurs centaines de maisons causa de graves dommages qui rendirent nécessaire la reconstruction d'une
Pile et d'une
Arche. La circulation fut interrompue durant plusieurs années.
L'
Archevêque Philippe de Thurey écrivit à la
Reine, les consuls implorèrent la générosité du pape et du roi Charles VI. Les dommages étaientà peu près réparés lorsqu'en 1414 les eaux et les glaces emportèrent de nouveau plusieurs arhes.
En 1435, les Lyonnais sollicitèrent encore l'assistance du pape. A l'annonce d'une bulle accordant indulgence plénière à quiconque travaillerait ou ferait travailler au pont pendant dix jours, on vit des familles entières accourir des provinces voisines ! Dans les rangs des travailleurs, gentilshommes, prêtres, clercs, veuves, unissaient leur labeur.
Le roi Louis XI, revenant de Notre-D
Ame du Puy par le Dauphiné en mars 1476, est obligé de s'arrêter à la Guillotière en raison d'une crue qui a endommagé le pont et interrompu le passage. Charles VIII passe le pont le 7 novembre 1495.
Le 19 juillet 1500, alors que le roi Louis XII séjournait à Lyon avec la cour, les eaux renversèrent une
Pile et deux
Arches. Nouvelles autorisations royales pour la perception de
Taxes. A cette époque, le pont était encore partiellement en bois. C'est le 30 mai 1559 et le 15 juin 1559, que le Consulat de Lyon, « attendu que le pont de boys du pont de Rosne est en emynent péril de tumber et ruyner au grand dommaige et scandalle de ladite ville », décidait de substituer des
Arches et
Piles de pierre aux 63 toises du pont de bois.
Deux
Arches sont encore emportées en 1571. Des réparations deviennent de nouveau nécessaires en 1619, 1718, 1747, 1749.
La construction des quais du Rhône au XIX siècle devait ensevelir sous la chaussée quelques
Arches et
Piles du côté du faubourg, de la Guillotière.
Dans ses « Recherces sur Notre-D
Ame de Lyon, l'origine du pont de la Guillotière et du Grand Hôtel-Dieu », M. C. Guigue se demande pourquoi l'oeuvre de construction du pont a coûté six siècles d'efforts et des sommes énormes.
Le Rhône, coulant à Lyon sur une couche de gravier d'une grande puissance, dut, lorsqu'il fut rest
Reint en son cours par des énormes
Piles de 8, 10 et 12 mètres d'épaisseur, changer de régime afin de trouver une compensation pour le débit de son volume, soit dans le dé
Placement et la profondeur de son lit, soit dans la vitesse de son courant. Il tenta à diverses reprises de se frayer un passage à travers les plaines de Bèchevelin en se jetant vers le Dauphiné. Puis, contraint par les travaux d'art, les digues appelées Pessières, de refluer vers la ville, il se précipita impétueux sous les
Arches du pont, s'efforçant de recouvrer en profondeur ce qu'il avait perdu en largeur. Dans ce travail d'affouillement, les enrochements, trop lourds pour être charriés, mais sapés en dessous, glissaient incessamment dans le profond. Les pilotis déchaussés, ébranlés, ne tardaient pas à être entraînés ; les
Piles, alors privées en tout ou en partie de leur assiette, s'affaissaient sur elles-mêmes, perdaient leur aplomb et se renversaient enfin.
« Ce ne fut qu'après l'effondrement successif de toutes ces masses que l'édifice put être solidement assis ».
Le « Lyon tel qu'il était et tel qu'il est », publié chez Daval, 51, rue Mercière, en 1797, consacre une page au pont du Rhône, « remarquable par sa longueur et sa solidité ». Il reproduit le texte de l'inscription en dix vers latins à la louange du pape Innocent IV rendant hommage à la mémoire du pontife et rappelant les bienfaits reçus de lui.
Il est vrai que cette belle histoire fut en partie démentie par la suite. Le bouclier d'argent, dont il est question dans ce récit, fut trouvé à Avignon et vendu à un orfèvre de la ville. Celui-ci, l'ayant remis en état, le vendit au joaillier lyonnais Simonnet qui le céda au collectionneur Octavio Mey, gendre de Pilata, et celui-ci l'offrit au roi.
Pour se rendre compte de ce qu'était, à la fin de l'ancien régime, l'encombrement de l'accès au pont de la Guillotière, il faut considérer le plan géométral de la ville de Lyon par Georges Seraucourt.
Le « Journal de Lyon », publié en 1787 chez Aimé de la Roche, imprimeur de la ville et du gouvernement, consacre une étude à l'histoire du pont de la Guillotière. Il rend hommage au rôle joué par le pape Innocent IV et donne des précisions sur les méthodes de construction employées.
« Les fiefs des comtes de Savoie bordèrent longtemps la rive orientale du Rhône et on les vit plusieurs fois tenir leurs assises sur le pont même, dont ils regardaient la moitié comme une de leurs possessions. Lorsqu'en 1332, le roi de France voulut bâtir une maison 'à la descente du pont pour y tenir un bureau de gabelle, il fut obligé de traiter avec le comte de Savoie qui n'accorda la permission de bâtir qu'à condition qu'il aurait le cinquième du produit ».
Il faudrait évoquer tant de cortèges royaux ou princiers que vit passer notre vieux pont aux
Arches jetées sur le fleuve, pour aller de Lyonnais en Dauphiné, Savoie, Provence, Italie, et aussi les défilés d'hommes d'armes en route pour de lointaines guerres. C'est toute une partie de l'histoire de France qui revivrait dans cette présentation.
Quel beau fim que celui qui reconstituerait les réceptions de souverains et souveraines par le prévôt des m
Archands et les échevins, les honneurs rendus par les arquebusiers du Consulat et la garde bourgeoise. Visages de
Reines de France, comme Marie de Médicis, et de Suède comme Christine !
Il faudrait relire le recueil consacré par le Consulat aux Entrées solennelles pour retrouver les noms des notables personnages qui, venant du Dauphiné à Lyon ou s'y rendant après un séjour dans notre cité, franchi les
Arches tant de fois reconstruites.
En 1509, une colonne portant avec une inscription les armes de la ville et Dauphiné commémora la victoire d'Agnadel remportée en Italie par les troupes du roi Louis XII. Elle devait être renversée cinquante-trois ans plus tard lorsque les
Bandes calvinistes entrèrent à Lyon.
Quand, après la mort du dauphin François, en 1536, Montecuculli, acc
Usé d'assassinat, fut écartelé à la Grenette et ses membres dispersé aux entrées de la ville, sa tête portée par une lance fut accrochée à la porte du pont de la Guillotière.
Voici le roi Henri III en septembre 1574 et Louis XIII et Anne d'Autriche !
Et l'entrée de l'éminentissime cardinal Flavio Chigi, neveu de Sa Sainteté et légat apostolique, le 3 mai 1664.
Le Consulat avait fait frapper, en 1661, une médaille aux armes de la ville et du maréchal de Villeroy pour célébrer l'achèvement de la construction en pierre du pont vainqueur de sa longue lutte contre les ruées du fleuve.